Les actions de secours comme toutes les actions sont composées de plusieurs éléments, plusieurs dimensions, qui vont au final définir la qualité de ce que nous allons réaliser.
J’aime, pour représenter celà, utiliser comme analogie une forme géométrique que nous pourrions apparenter au squelette d’un tétraèdre, dont je vous mets un exemple juste en dessous.
Ceci nous permet de visualiser les 4 composantes de l’action sous la forme des 4 « boules » colorées en rouge, bleu, vert et jaune.
La « boule » noire représentant en quelque sorte le « centre de gravité » de ce que nous sommes en train de réaliser.
L’importance, et nos compétences dans chacun de ces domaines vont se traduire, sur notre schéma par la taille, le poids de la sphère correspondante, ainsi que de la distance qui la sépare du centre de gravité.
Représenté ainsi il est aisé de constater que la « taille » de ce que nous effectuons va surtout dépendre de la composante « rouge », alors que la stabilité, l’efficacité, dépendront plutôt des 3 autres composantes qui assurent une sorte de « trépied » à notre action.
Valoriser une composante au détriment des autres, ou, au contraire, la négliger, entrainera, comme nous allons le voir sur les représentations suivantes, un déséquilibre qui pourra se traduire soit par un résultat médiocre, soit par une action dangereuse, car instable.
Ceci nous permet de visualiser combien il est nécessaire d’équilibrer les 3 éléments de notre trépied, afin de sécuriser ce que l’on cherche à faire, tout en veillant à proposer une dimension la plus haute possible en fonction du socle que nous possédons.
Alors tout celà est bien beau, mais en pratique, à quoi correspond chacune de ces composantes.
Permettez moi pour introduire ces notions de prendre un exemple tiré de la vie courante, probablement plus familié que ne le pourrait être une action de secours.
Exemple de la conduite automobile
De quoi a-t-on besoin pour réaliser correctement tous les trajets en voiture qui pourraient nous être proposé ?
Premièrement de connaître les différentes commandes du véhicule et les subtilités du code de la route.
- savoir pourquoi et comment on accélère,
- connaître quand et comment il faut freiner,
- identifier les différents panneaux qui se présenteront sur la route,
- ….
Toutes ces choses nous sont apprises lors des séances de code de la route.
Deuxièmement de pratiquer suffisamment, afin de disposer de la dextérité nécessaire pour enchainer de manière fluide des mouvements efficaces.
- trouver le point de patinage,
- adapter l’amplitude des mouvements du volant aux virages à prendre sur la route,
- freiner puis débrayer sans caler,
- …
Ceci correspond à l’apprentissage acquis lors des cours de conduite.
Troisièmement, et on commence à aborder des choses un peu moins connue: savoir gérer ces émotions. En effet peut-on imaginer effectuer des longs trajets en toute sécurité si on ne parvient pas à assumer:
- la peur de se faire percuter chaque fois qu’un autre véhicule entre dans notre champ de vision, ou que notre propre voiture prends de la vitesse,
- la colère dès lors qu’un autre conducteur n’effectue pas sa manoeuvre comme nous l’aurions fait nous même, ou ne respecte pas un choix de vitesse ou de distance que nous avions effectué,
- la frustration de ne pas pouvoir pousser la voiture vers ses limites ou de profiter au maximum de notre véhicule et de la route, ou au contraire de faire tout autre chose que de conduire alors que l’on est pourtant au volant.
- ….
On le perçoit déjà un peu, mais on entre dans une dimension qui n’est que peu prise en compte lors de l’apprentissage. l’acquisition de ce type de compétences se faisant (ou pas) dans d’autres sphères de notre vie, et sont ensuite transféré dans la conduite sous l’influence des exemples et de l’expérience dont nous bénéficierons.
Enfin quatrièmement il s’agit de la volonté de conduire. La conviction qu’il faut se déplacer et que ces déplacements doivent se faire en voiture. En effet, on aura beau avoir toutes les connaissances possibles, avoir l’habileté technique requise, ne connaître aucune difficulté émotionnelle lorsqu’on prend son véhicule, si on estime que:
- conduire est écologiquement irresponsable,
- prendre le train est moins fatiguant,
- utiliser l’avion est plus rapide,
- on est bien que chez soi,
- …
alors il est probable que notre activité de conduite restera marginale. Cette composante, plus « spirituelle » de l’action constitue son véritable moteur, et est souvent négligée dans l’apprentissage. Il est vrai que les formateurs, passionnés par définition, considèrent l’adhésion à ce qu’ils enseignent comme une évidence. Cette dimension « stratégique » est représentée par la « boule rouge » de notre forme géométrique.
Et concernant l’action de secours ?
La connaissance théorique
Elle devra nous permettre de comprendre ce dont le patient aura besoin, pourquoi il sera nécessaire d’agir. Elle doit nous enseigner aussi les ressources à notre disposition et les contraintes à respecter. Elle devra nous permettre de déterminer, pour chaque cas, quelle est la situation actuelle, où nous devons aller, et les moyens dont nous disposons pour y parvenir.
Cette connaissance théorique, ce savoir, est contenu dans les différents référentiels et ouvrages en lien avec le secourisme. Il constitue également une part importante des différentes formations dispensées.
Mais attention toutefois à ne pas se méprendre sur l’intérêt et le rôle de cette composante. Il s’agit d’un outil à notre disposition pour mieux comprendre et appréhender chaque situation, et non une poésie à réciter intégralement le jour où nous serons confronté à une urgence. La situation ne sera jamais celle qui vous a été proposée….
La connaissance théorique, c’est toutes les informations contenues dans votre GPS. Le tracé des routes, leur limitation, les travaux et déviations connues…. Il sait tout par coeur, et pourtant que vous dit-il avant même de calculer votre itinéraire: « Le GPS n’est qu’un outil à votre service, le conducteur reste le seul responsable de sa conduite ». Il en est de même pour vous. Plus vous aurez de connaissance théorique meilleur sera votre outil et plus pertinentes seront vos décisions. Mais ce sera toujours VOS décisions.
La connaissance théorique, le savoir, constitue la première composante de notre trépied: la « boule jaune ».
La gestuelle
Si la prise de décision constituera souvent l’une des premières et des plus difficiles actions à réaliser, un certain nombres d’autres reposeront sur la réalisation de gestes, pour lesquels un apprentissage peut-être souhaitable.
Mais rassurez vous, ce dont le patient aura besoin ne demandera jamais une dextérité démoniaque. Pas de tir dans la lucarne du pied gauche, pas de panier à 3 points, pas d’accord barré à réaliser sur votre guitare, pas même une simple bille à faire rentrer dans un trou après avoir frappé 3 bandes.
Non, les « exploits » physiques à réaliser pour prendre en charge une victime ne vous amèneront pas à figurer dans le livre des records, et ne dépasseront pour ainsi dire jamais ce que vous faites tous les jours.
Simplement l’expérience de la « résistance » d’un thorax que l’on masse, ou d’un abdomen que l’on comprime, la réaction d’une jambe sans tonus que l’on lache, la sensation d’un menton que l’on tracte en avant, la fatigue ressentie ou évitée par une meilleure position, sont autant d’expériences « kinesthésiques » ressenties dans nos muscles et dans notre corps, qu’il vaut toujours mieux avoir ressenti et appris à rectifié à l’entrainement avant d’y être confronté en situation réelle.
L’apprentissage de ces gestes constitue le coeur même des formations de secourisme. Mais là encore n’oublions jamais que ce ne sont que des outils au service d’un objectif ultime: apporter au patient ce dont il a besoin. La réalisation du geste « parfait » et identique à celui qu’on a appris n’est jamais un but en soi. Il est par contre souvent un moyen simple et efficace, au vu de ce que l’on sait aujourd’hui, pour atteindre notre véritable objectif: aider la victime.
La gestuelle, le savoir faire, constitue la deuxième composante de notre trépied: la « boule bleue ».
La gestion des émotions
Nul besoin pour moi je pense, de faire un long discours pour vous convaincre que faire face aux émotions constituent l’un des plus gros freins à l’action dans ce type de situation. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter les témoignages de personnes croisées au hasard et qui apprennent que vous exercez dans le domaine de l’urgence, quel que soit précisément votre métier. Très peu vous diront qu’ils n’auraient jamais pu acquérir toutes les connaissances théoriques nécessaires pour devenir pompier ou ambulancier, aucune ne s’extasie devant les performances physiques ou gestuelles demandées à un médecin, mais nombreuses sont les personnes à exprimer les difficultés qu’elles auraient eu à se confronter émotionnellement aux situations rencontrées en urgence.
- La peur d’un avenir au minimum incertain,
- la colère tournée contre soi ou contre les autres pour ce qui est arrivé,
- la frustration et la tristesse que tout ne puisse pas redevenir comme avant,
autant d’émotions qui risquent de venir polluer la réflexion et l’action pourtant indispensable dans ces moments précis.
La gestion des émotions constitue clairement un challenge lorsqu’on veut apprendre à faire face à des situations d’urgence, et ce d’autant que les formations, et les différents outils à disposition n’abordent que peu ce point précis.
Cette difficulté justifiera probablement prochainement la réalisation d’un article qui lui sera entièrement consacré. Toutefois, et parce qu’il n’existe pas de problèmes sans solutions, voici quelques pistes de réflexions:
- Identifier dans votre vie « courante », les moments chargés en émotion et la façon dont vous les gérés (à condition que vous y parveniez sans fuir, sans frappez les autres, ou sans vous caché, ce qui, au final, n’est peut-être pas des plus productifs).
- s’engager dans l’action est l’un des meilleurs remèdes contre le fait d’être envahi par ses émotions.
- les émotions sont toutes en relation avec le passé ou le futur. On a peur de ce qui va (ou peut) nous arriver dans le futur, on est en colère de ce qui nous a été fait dans le passé… Une solution: se réfugier dans le présent. Que dois-je faire maintenant. Ce qui est passé est déjà fait, et on verra bien le futur quand il arrivera.
- Accepter les émotions pour ce qu’elles sont: un moyen de communiquer très rapidement des informations aux autres, et à soi même. Si j’ai peur alors tout le monde comprend qu’il y a un danger, sans même avoir besoin de parler, si je suis en colère, alors je préviens mon interlocuteur qu’il devrait faire attention, sans long discours…. Cet effort de communication ayant été fait (à l’insu de mon plein gré), l’objectif de l’émotion est rempli, je dois « passer à la suite ». Plus facile à dire qu’à faire, j’en conviens…
La Gestion des émotions, ce savoir-être, constitue la troisième composante de notre trépied: la « boule verte ».
La motivation
Et enfin nous voici à la « boule rouge ». Celle qui va déterminer le niveau d’engagement dans l’action en général, et dans celle de secours en particulier.
Alors on imagine assez aisément qu’il existe un lien entre les 3 notions précédentes et l’implication. Si je n’y connais rien, que je n’ai jamais essayé et que ça me fait peur, il va être compliqué pour moi de me sentir investi de cette mission.
Mais d’un autre côté,
- si je m’étais senti investi de cette mission, peut-être que je m’y serais intéressé, que j’aurais essayé, et que j’aurais pris la décision d’affronter ma peur…
- et suffira-t-il de connaitre la théorie, d’avoir pratiqué, y compris avec succès, et de ne pas être submergé par ses émotions pour être motivé ? l’exemple de de la conduite automobile semble indiqué que non.
En conclusion l’envie, le niveau de motivation sont, à mon sens, un pré-requis à l’action, et en constitue une limite intrinsèque.
Alors comment puis-je vous motivé pour que vous ayez envie de faire, et de vous lancez dans les démarches d’apprentissage nécessaire du savoir, du savoir faire ou du savoir être nécessaires ?
Existe-t-il une motivation extrinsèque efficace à faire valoir ? Personnellement je n’en suis pas sûr.
Pour l’action de secours comme pour beaucoup d’autre, c’est l’action elle même qui doit être motivante, et non les personnes qui la présente, l’encadre, ou forme à sa réalisation.
Alors pourquoi devraient-elles nous motiver ?
Tout simplement parce que c’est de notre responsabilité !
Quelque soit notre profession, quelque soit nos hobbys, quelques soient nos engagements, c’est de notre responsabilité !
Le niveau de réponse et l’objectif visé dépendra de notre fonction, mais intervenir, à la place où on est, sera toujours de notre responsabilité !
En matière d’urgences, être la personne dont la victime aura besoin sera toujours de notre responsabilité !
Tant que subsistera l’idée selon laquelle faire face à la situation d’urgence est du ressort d’un autre membre de l’équipe, des pompiers, du SAMU, de l’organisateur, du directeur de l’hôpital, du gouvernement,…. bref d’un autre. Que donner l’alerte est déjà bien suffisant. Alors la « boule rouge » de notre implication restera en position basse, la motivation pour déployer et entretenir un trépied large sera faible, et le temps passé à se former représentera du temps qui pourrait être optimisé.
Ce site est dédié et visera à aider à faire progresser dans chaque composante de l’action tous ceux qui pensent que, en Urgence,
- Etre le citoyen dont son contemporain aura besoin est de notre responsabilité,
- Etre le parent dont notre enfant aura besoin est de notre responsabilité,
- Etre le professeur dont ses élèves auront besoin est de notre responsabilité,
- Etre l’éducateur, l’organisateur, le bénévole dont le sportif aura besoin est de notre responsabilité,
- être l’infirmier, l’ambulancier, l’aide soignant, bref le professionnel de santé dont son patient aura besoin est de notre responsabilité.
- …………
En résumé, à « devenir la personne dont chaque victime aura besoin«